L’inquiétude régnait partout en Europe, elle se trouvait dans l’atmosphère même, on la respirait.
Tous attendaient des guerres, des soulèvements, des catastrophes. Personne ne voulait mettre de l’argent dans de nouvelles entreprises. Les fabriques fermaient. Des foules de chômeurs déambulaient dans les rues et exigeaient du pain. Le pain devenait de plus en plus cher, et l’argent perdait chaque jour de sa valeur. L’or éternel, l’or immortel était soudain tombé malade, les hommes avaient perdu foi en lui. C’était l’ultime refuge, plus rien de durable ne persistait dans la vie.
La terre elle-même avait cessé d’être stable. C’était comme une femme qui sent déjà son ventre enflé prêt à projeter dans le monde des êtres nouveaux – et elle commença de s’agiter fiévreusement, terrorisée. C’était un hiver où les oiseaux gelaient en vol et tombaient avec un bruit sec sur les toits, sur la chaussée. Ce fut ensuite un été tel que les arbres fleurirent trois fois et que les hommes périrent de la chaleur délirante de la terre. Un jour de juillet, alors que la terre somnolait avec ses lèvres noires, séchées et gercées, son corps fut secoué d’un frisson. La terre devint une immense clameur générale. Les oiseaux voltigeaient en piaillant au-dessus des arbres et craignaient de s’y poser. Les murs, les églises, les maisons s’écroulaient en silence. Les gens fuyaient les villes comme des bêtes et vivaient en troupeaux à ciel ouvert. Le ciel avait disparu. Personne ne put dire combien d’heures ou de jours cela avait duré.
Toute couverte de sueur froide, la terre enfin s’apaisa. Tous se ruèrent vers les églises. Les voûtes lézardées laissaient entrevoir le ciel surchauffé. Les flammes des bougies vacillaient sous l’haleine des gens et le poids des péchés humains confessés à haute voix. Les prêtres blêmes clamaient du haut des ambons que dans trois jours, le monde volerait en éclats comme une châtaigne sur la braise.