Rentrée littéraire Libella 2021

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La belle saison - Ludmila Charles

Ludmila Charles La belle saison

À Nové Mesto, en République tchèque, Baba accouche d’Elena. On est le 1er avril, tout le monde croit à une farce : Baba est tellement grosse que personne n’avait vu qu’elle était enceinte de ce sixième enfant, arrivé vingt ans après les autres.

La fillette grandit dans un monde de femmes, entourée par sa mère, ses tantes et ses soeurs. Le seul horizon possible est le mariage. Quand l’une d’entre elles, Magda, part en France, Elena pleure à s’en rendre malade. Elle pousse comme une herbe folle, s’ennuie à l’école et ne vit que pour ces mois d’août où Magda revient avec sa fille, Anna. Une amitié intense et fraternelle unit les deux enfants.

Mais le pays se transforme : la guerre, le communisme, Tchernobyl, la chute de l’URSS... Les possibilités d’Elena se restreignent. Insidieusement, la distance se creuse entre les deux amies d’autant que pèse un secret, une vérité sèche, coupante comme une herbe en été.

Ludmila Charles est née en 1967 d’une mère slovaque et d’un père français. Elle enseigne la littérature à l’université de Tours. Elle a publié deux essais, un sur Victor Hugo (Honoré Champion, 1998) et l’autre sur la poésie (Bréal, 2002). Elle a également annoté les Contemplations d’Hugo (LGF). Elle vit à Paris dans le quartier de Barbès. La Belle Saison est son premier roman.

En librairie le 7 janvier 2021 9782882506719 – 128 pages – 14

Extrait

Tout avait bien commencé. Elena n’avait pas à se plaindre. Il n’y avait rien eu de grave, rien d’irrémédiable. Elle n’en voulait à personne. Les êtres humains naissaient dans un oeuf, oui, un oeuf, une coquille protectrice à l’intérieur de laquelle ils grandissaient à l’abri de la mort. La coquille était poreuse, elle laissait passer l’air et la lumière, et tout ce dont ils avaient besoin. Mais pas la mort. Tant que l’oeuf n’était pas cassé, ils ignoraient tout de la mort. Ils savaient qu’elle existait, bien sûr, mais c’était une connaissance théorique, qui ne leur faisait aucun mal ; elle ne les touchait pas, elle ne les concernait en rien. Parfois, la coquille se cassait très tôt, presque immédiatement ; ce n’était pas de chance. Une fois qu’elle était cassée, impossible de la réparer : on ne répare pas une coquille d’oeuf. On ne répare pas l’ignorance. Il y avait des enfants, même très petits, qui savaient qu’ils allaient mourir, alors que certains adultes l’ignoraient. Anna, par exemple, ne savait pas. Des gens étaient morts autour d’elle, évidemment, et elle avait appris la mort de gens plus éloignés en lisant des journaux et des livres ou en regardant la télévision. Mais sa coquille devait être très épaisse, parce que cela n’avait en rien ébranlé la certitude qu’elle avait d’être immortelle.

Le père d’Elena non plus ne savait pas, et pourtant il avait connu la guerre. Dans ses os, dans sa chair, il n’y avait pas le plus petit trou par lequel la mort aurait pu s’insinuer ; il était d’un bloc, sans fissures. Aussi la vie était-elle très simple à ses yeux : il fallait bien travailler à l’école, à l’université, à l’usine. Pour quoi faire ? lui demandait Elena. Il ne savait pas bien l’expliquer ; cela tenait à une idée du progrès, très lumineuse, comme une ampoule qui ne s’éteindrait jamais. Si l’on faisait du mieux qu’on pouvait, on contribuait au progrès général.

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