Rentrée littéraire Libella 2021

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La Traversée - Pajtim Statovci

Pajtim Statovci La Traversée Traduit du finnois par Claire Saint-Germain

Bujar grandit en Albanie parmi les ruines du régime communiste et celles de sa propre famille. Seul son ami, l’intrépide Agim, qui se débat avec son identité et sa sexualité, parvient à l’arracher à sa solitude. Ensemble, ils décident de tout abandonner pour tenter leur chance en Italie. Mais se sentir chez soi – dans un pays étranger comme dans son propre corps – représente un défi sans cesse renouvelé qui mène les deux garçons dans une quête périlleuse.

D’une actualité brûlante, ce roman nous parle de cette réalité incertaine et mouvante que vivent des millions d’êtres humains à travers le monde ; de ce qui constitue et de ce qui floute notre identité ; du sentiment d’étrangeté à soi et aux autres.

Odyssée moderne et lyrique, le texte explore ce qui forge notre humanité.

Pajtim Statovci naît au Kosovo en 1990. Il émigre en Finlande avec sa famille deux ans plus tard. Professeur de littérature comparée à l’université d’Helsinki, il est l’auteur de trois romans. La Traversée est le deuxième à être publié en français après Mon chat Yugoslavia (Denoël, 2017). En 2019, Pajtim Statovci remporte le prestigieux Helsinki Writer of the Year Award.

En librairie le 14 janvier 2021 9782283032312 – 288 pages – 20

Extrait

LA CÔTE DE DIEU – Rome 1998

Quand je pense à ma mort, l’instant où elle survient est toujours le même. Je porte une chemise boutonnée unie et un pantalon assorti, taillés dans une étoffe fine, facile à enfiler. C’est le grand matin et je suis heureux, j’éprouve le même plaisir et la même sérénité qu’aux premières bouchées de mon plat préféré. Certaines personnes m’entourent, je ne les connais pas encore, mais un jour viendra où je les connaîtrai, et je me trouve à un certain endroit, couché sur un lit médicalisé dans ma chambre à moi, nul n’agonise à mon côté, dehors le jour se remet sur ses pieds avec la lenteur d’un vieillard rhumatisé, certains mots me parviennent de la bouche de ceux qui me sont chers, une caresse sur la main, un baiser sur la joue, la sensation du foyer que j’ai érigé autour de moi comme un sanctuaire. Ensuite, mes organes cèdent les uns après les autres et mes fonctions corporelles s’éteignent : mon cerveau n’envoie plus d’ordres, mon sang ne circule plus et mon coeur s’arrête, impitoyablement et inéluctablement, et je ne suis plus. À l’endroit où se trouvait mon corps ne subsistent plus que peau et tissu cutané, sous l’épiderme des fluides, des os et des organes inutiles. Mourir est aussi facile que descendre un chemin en pente douce.

Je suis un homme de vingt-deux ans, qui se comporte par moments comme un gars sorti de mon imagination ; je m’appelle Anton, Adam ou Gideon, comme il plaît à mon oreille sur l’instant, je suis français, allemand ou grec, mais jamais albanais, et je marche d’une façon définie, tel que mon père me l’a appris, je vais à pas larges et francs, conscient de la position de mon torse et de mes épaules, serrant la mâchoire comme pour m’assurer que personne n’empiète sur mon territoire, et alors la femme en moi brûle sur le bûcher tout le jour durant – quand au café ou au restaurant le serveur m’apporte l’addition sans s’étonner que je sois seul, la femme brûle, et quand je découvre des défauts imaginaires dans mon plat et le renvoie en cuisine, ou quand j’entre dans n’importe quelle boutique et que les vendeuses s’approchent, la femme à l’intérieur de moi reprend feu et vient se placer dans le continuum né le jour où il nous fut dit comment la femme naquit de la côte de l’homme, non pour être homme mais pour être à son côté, à la gauche de l’homme.

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