Rentrée littéraire Libella 2021

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L’Enfance de Kaspar Hauser - Bogdan Alexandru Stănescu

Bogdan Alexandru STĂNESCU L’Enfance de Kaspar Hauser Traduit du roumain par Nicolas Cavaillès

Bobitza, le personnage principal, grandit comme une mauvaise herbe dans la banlieue de Bucarest entre pauvreté, alcoolisme et petites combines.

À l’image de Kaspar Hauser, aussi baptisé l’orphelin de l’Europe et qui est apparu en 1828 à Nuremberg, il débarque dans un monde incompréhensible et nouveau, la ville et le capitalisme. Cela fait de lui le parfait représentant d’une grande partie de sa génération élevée sous la dictature crépusculaire de Ceauşescu et sacrifiée sur l’autel de la transition démocratique.

Construit au fil d’anecdotes et de saynètes, L’Enfance de Kaspar Hauser est composé de deux parties : l’enfance avant la révolution et la jeunesse dans les années 1990. Le roman, vivant, tendre, parfois drôle et toujours très intelligent, dit aussi la force de l’instinct de survie conjugué à la puissance destructrice des changements sociaux et politiques.

Bogdan Stănescu est né en 1979. Directeur de la plus prestigieuse collection de littérature étrangère de Roumanie chez Polirom pendant plus de dix ans, il est également le traducteur de James Joyce et de Paul Auster en roumain. Poète et critique, il se consacre aujourd’hui à l’écriture.

En librairie le 14 janvier 2021 9782752911964 – 256 pages – 21

Extrait

Je me rappelle ces jours-là comme les images d’un film vu au cinéma en plein air, à travers le rideau d’une pluie carpatique. Aujourd’hui, j’ai l’impression que, dans mon enfance, soit il pleuvait des cordes, soit c’était la canicule, soit la neige recouvrait toutes les marches de l’escalier de l’immeuble, si bien que les voisins y creusaient des tunnels et que j’y faisais des casemates et des igloos avec mes copains cheminots. Ce n’était probablement pas le cas, et je me demande à nouveau pourquoi ma mémoire ne sélectionne que les extrêmes, comment elle découpe ces cadres météorologiques qu’elle superpose à d’autres images, quitte à ce que des arbres différents y mélangent leurs branches et que les oiseaux y volent dans des directions contraires et se heurtent les uns les autres en croassant à tout va.

Quand j’ai connu P’tit-Père, je passais en deuxième année, à l’école, j’étais un petit garçon constamment terrorisé qui percevait le monde à peu près comme j’imagine qu’un rongeur le fait, un rongeur qui ne se faufile hors de son terrier que pour attraper des insectes et qui reste toujours attentif à ne pas se faire prendre par un rapace. La vie était d’une terne tristesse, sans différence apparente entre les jours, seulement des rythmes, un son qui ponctuait chaque fin et signalait chaque commencement.

Ces créatures terrorisées répandent une odeur, elles ont une aura que perçoivent tous leurs agresseurs, dans tous les règnes : les racines noueuses qui avaient crevé l’asphalte de la rue Stoian-Militaru s’enroulaient autour de mes jambes, je tombais à genoux sur un raccord goudronné entre deux brèches et m’arrachais la peau, laquelle guérissait difficilement, j’en gardais des cicatrices laides qui duraient des semaines.

Derrière l’immeuble, là où il y avait l’entrée de l’escalier, un immense chantier s’étendait, un terrain vague recouvert de terre et parsemé de grues, de camions et de baraques hors desquelles sortaient des créatures étranges, bipèdes et noiraudes. Quand on passait devant les baraques, des meutes de chiens apparaissaient qui ne sautaient que sur moi, comme s’ils sentaient la peur – je ne pensais pas sans horreur à l’instant où je devrais sortir de la maison.

Enfin, quand j’arrivais à l’école, le moloch m’y attendait : la camarade enseignante Pop, qui – je m’en suis rendu compte plus tard – avait une dent contre moi.

– Écoutons plutôt ce que va nous dire l’élève…

C’était le prélude à une nouvelle mésaventure… Ensuite : Puisque sa Maman c’est madame la professeure. Je ne savais pas que la lutte des classes s’aiguisait ici, que je recevais des gifles adressées à ma mère, laquelle se permettait d’être trop élégante, peut-être, trop belle et trop vulnérable pour la camarade Pop.

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